Il est urgent, selon Christophe Richard, de repenser notre système éducatif et d'imaginer ce que pourrait être une éducation matérialiste, c'est-à-dire une éducation tenant enfin compte du corps. En effet, dispenser un enseignement ne relève-t-il pas davantage du corps à corps que du tête à tête ? Car enfin, qui ne voit que l'on apprend par corps et que l'on pense qu'avec le corps? C'est du moins la thèse de l'auteur qui a le mérite d'attirer l'attention sur la réalité corporelle et de vouloir lui donner droit de cité.



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(www.editions-harmattan.fr) :
 
Christophe Richard prône une éducation qui tienne enfin compte du corps. Il considère que jusqu'à présent, seul l'esprit des apprenants a été considéré. Quid de leur corps ? Dès son avant-propos, il évoque ce que devrait être le rôle des parents et de l'école : aider les enfants à devenir des adultes libres et éclairés. Partant, il déplore le manque de prise de risques des jeunes adultes, remarque que «les enfants du Tiers Monde rêvent d'être scolarisés» alors que «ceux des pays industrialisés n'éprouvent plus que dégoût pour le lieu scolaire». Sur la base de son expérience d'enseignant, durant plus de 25 ans, il estime que «de nouvelles conditions d'enseignement sont plus que nécessaires» et qu'elles devraient «tenir compte du corps de l'apprenant». Ce livre est découpé en trois chapitres. 1 – La prime éducation : du désir à la volonté. 2 – Un exemple d'éducation idéaliste : l'éducation platonicienne. 3 – Une éducation matérialiste possible.
Christophe Richard est docteur en philosophie. Cette formation, qui imprègne toute sa réflexion, est clairement perceptible tout au long des pages. La construction et le développement harmonieux d'une personne ne peuvent aboutir que si l'enfant est encouragé «à gérer par lui-même ses pulsions et ses désirs». Christophe Richard revient sur les travaux de Freud et de sa fille, Anna Freud, tout en s'appuyant sur divers philosophies parmi lesquels Kant, Epicure, Locke, Plutarque, Hegel... Il rappelle l'importance du rôle des parents dans l'éducation de leur enfant. Parmi les opportunités éducatives, il distingue le jeu, le sport, les activités artistiques, qui selon lui, participent à «un processus de sublimation afin d'établir une authentique harmonie entre Ça et Surmoi ; principalement durant la phase de latence (de six ans à la puberté).» Il rappelle les préjudices dus à la permissivité et l'absence de limites, la nécessité d'apprendre à s’autodiscipliner, la différence entre désir et volonté et les ravages du consumérisme propre à notre société. L'identité sociale, qu'il définit ensuite, permet à une personne d'être intégrée dans un cadre social. L'articulation entre normalisation et individuation lui semble tout à la fois idéale et difficile à atteindre. Il souligne l'importance des échanges intergénérationnels pour un développement harmonieux des enfants, la nécessaire stabilité de la cellule familiale, que quittera un jour l'enfant devenu un adulte épanoui, et où lui auront été transmis les codes sociaux à respecter et propres à son environnement. En complément à cette éducation parentale interviennent l'école maternelle puis primaire. C'est dans ce contexte que l'enfant sera soumis à une discipline qui le fera se conformer au rôle social qui lui est dévolu. Pour «Faire l'homme», titre de la troisième partie du premier chapitre, Christophe Richard mobilise ses connaissances philosophiques en proposant: a) la réponse idéaliste : l'homme est formé de deux composantes : le corps, matériel, et l'âme ou l'esprit, immatériel. b) la réponse matérialiste : le corps y est l'ennemi de l'âme, troublée par les désirs physiques. c) la réponse existentialiste : «Le corps est un être qui existe avant de pouvoir être défini et les seules propriétés qu'on puisse lui attribuer sont le résultat de ses actes.» et conclut, sur d) Une école de demain qui cesserait de considérer l'élève «comme un pur esprit en ne sollicitant que son intellect». Face à l'extrême passivité, le consumérisme scolaire... qu'il constate chez ses élèves de terminale, il veut imaginer «sérieusement ce que pourrait être une éducation qui donnerait au corps toute son importance.» Après une telle entrée en matière, le chapitre suivant, basé sur l'éducation platonicienne, constitue presque un cours de philosophie qui aiguillonne l'impatient lecteur désireux de découvrir les propositions de l'auteur. Pour définir une éducation matérialiste, dans son troisième chapitre, Christophe Richard entreprend un voyage historique sur la formation des bons chrétiens. De Rabelais, Malebranche, Durkheim et autres penseurs, il arrive à la loi Jules Ferry en 1882 sur l’école publique, gratuite, laïque, mais qu'il mentionne par erreur obligatoire. S'en suit l'évocation de différentes réformes des années soixante à 2014. «Le corps postmoderne fat la part belle à la technologie domotique et aux diktats des normes physiques.» La soumission volontaire à ces règles – jeunisme, minceur, séduction – fait que chacun a «l'illusion de choisir librement son physique.» Malgré ce constat, Christophe Richard pense que nous sommes effectivement devenus matérialistes, si ce mot désigne «un intérêt démesuré pour l'argent et les biens matériels», mais que nous ne le sommes pas si le sens de ce mot est que «l'activité de l'esprit est enracinée dans celle des organes.» Au cours des dix dernières pages de cet ouvrage, est exposée la prise en compte du corps de l'apprenant par l'Education nationale : position assise, mobilier scolaire, espace classe, apprentissage corporel et sensoriel, passivité, nécessité de modifier toutes les pratiques pédagogiques, relations élèves / enseignants, calendrier scolaire, rôle de la mémoire. Dans les deux dernières et trop brèves pages, l'auteur relate une expérience originale qu'il a menée : la pratique du Zen à des élèves internes dans un lycée. Dans sa conclusion, il fustige, en citant Henri Pena-Ruiz, l'un des grands maux de l'Education nationale «la 'réformite' pédagogiste instrumentée par des spécialistes de 'sciences de l'éducation' qui ont déserté depuis longtemps les classes et assènent leur conceptualité orgueilleuse à ce qu'ils appellent les 'hommes de terrain'.» Ma conclusion personnelle serait de demander une suite à l'auteur. Un compte-rendu plus détaillé de ses expériences de terrain : la pratique du Zen et d'autres, peut-être. Des propositions plus concrètes, plus précises, en exposant leur intégration et leurs résultats dans le canevas si strict de l'emploi du temps et du calendrier scolaire de l'Education nationale. Si comme à moi, ce livre vous a mis l'eau à la bouche, mais que vous désirez en savoir davantage, vous pouvez visiter le site de l'auteur christopherichard.blogsport.com Lorsque Pierre de Coubertin revint de Grande Bretagne, où il avait découvert les réflexions de Thomas Arnold, sur l'importance de la pratique quotidienne du sport dans l'édification de la personnalité, il déclara «Il est contre nature d'obliger l'adolescent à être un pur cerveau, un cul-de-jatte sédentaire.» (cité par Philippe Jaenoda, Spiridon Superstar, Edition Incipit 2016) En termes plus choisis, plus philosophiques, cela semble être aussi la thèse de Christophe Richard. Pour une éducation matérialiste Corps à corps Christophe Richard Edition L'Harmattan, 2015, 135 pages, 15,50 euros Bernadette Nozarian